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[Urbanisme] Majoration illégale du délai d’instruction et autorisation tacite d’occupation des sols
Actualités [Urbanisme] Majoration illégale du délai d’instruction et autorisation tacite d’occupation des sols

[Urbanisme] Majoration illégale du délai d’instruction et autorisation tacite d’occupation des sols

\ Novembre 2023


Conseil d’Etat, 24 octobre 2023, M. C c/ Cne d’Aix-en-Provence, req. n° 462511, publié au recueil Lebon

 

Le Conseil d’Etat continue son entreprise de toilettage et d’uniformisation de sa jurisprudence s’agissant de l’instruction des déclarations préalables, des demandes de permis de construire, d’aménager et de démolir qui peut être l’occasion de démarches dilatoires de la part de l’administration.

Dans sa décision Commune de Saint-Herblain, le Conseil d’Etat avait procédé à un revirement de jurisprudence en admettant qu’une demande de pièces injustifiée n’interrompait pas le délai d’instruction et ne faisait pas obstacle à la naissance d’une décision implicite d’acceptation, sous certaines conditions néanmoins : «  À l'expiration du délai d'instruction tel qu'il résulte de l'application des dispositions du chapitre III du titre II du livre IV du code de l'urbanisme relatives à l'instruction des déclarations préalables, des demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir, naît une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite. En application de ces dispositions, le délai d'instruction n'est ni interrompu, ni modifié par une demande, illégale, tendant à compléter le dossier par une pièce qui n'est pas exigée en application du livre IV de la partie réglementaire du code de l'urbanisme. Dans ce cas, une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l'expiration du délai d'instruction, sans qu'une telle demande puisse y faire obstacle » (Conseil d’Etat, 9 décembre 2022, Cne de Saint-Herblain, req. n° 454521).

 

Cette nouvelle jurisprudence restait restreinte, pour deux raisons : d’une part, elle ne concernait que les demandes de pièces complémentaires ; d’autre part, elle exclut la naissance d’une décision implicite lorsque la demande de pièces, quoiqu’injustifiée, porte sur des pièces prévues au livre IV de la partie règlementaire du code de l’urbanisme. La doctrine a noté l’importance de cette limitation en pratique :  « Il n’en demeure pas moins que le progrès est loin d’être décisif car les services instructeurs peuvent encore aujourd’hui continuer d’exiger des pièces complémentaires prévues par le Code de l’urbanisme (dans le cadre de l’article R. 423-41), bien qu’elles ne soient pas nécessaires à l’instruction du dossier. Dans ce cas, cette demande – pourtant irrégulière – empêche la naissance d’une autorisation tacite » (Urbanisme - Propos amers sur l’instruction des autorisations d’urbanisme à la française - Focus par Maxime Cornille et Patrice Cornille, Construction - Urbanisme n° 1, Janvier 2023, alerte 1).

Dans son arrêt du 24 octobre 2023, le Conseil d’Etat a élargi sa jurisprudence Commune de Saint-Herblain à la problématique de la modification illégale des délais d’instruction. Il a ainsi jugé que : « A l'expiration du délai d'instruction tel qu'il résulte de l'application des dispositions du chapitre III du titre II du livre IV du code de l'urbanisme relatives à l'instruction des déclarations préalables, des demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir, naît une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite. Une modification du délai d'instruction notifiée après l'expiration du délai d'un mois prévu à l'article R*423-18 de ce code ou qui, bien que notifiée dans ce délai, ne serait pas motivée par l'une des hypothèses de majoration prévues aux articles R*423-24 à R*423-33 du même code, n'a pas pour effet de modifier le délai d'instruction de droit commun à l'issue duquel naît un permis tacite ou une décision de non-opposition à déclaration préalable. S'il appartient à l'autorité compétente, le cas échéant, d'établir qu'elle a procédé à la consultation ou mis en œuvre la procédure ayant motivé la prolongation du délai d'instruction, le bien-fondé de cette prolongation est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ».

Comme pour les demandes de pièces complémentaires, le Conseil d’Etat limite la décision tacite au cas où la prolongation du délai d’instruction serait motivée par tout autre chose que les hypothèses prévues aux R*423-24 à R*423-33 du code de l’urbanisme.

En pratique, rares seront les naissances de décisions tacites, dès lors que les majorations illégales de délais sont, dans la grande majorité des cas, fondées sur les dispositions des articles R*423-24 à R*423-33 du code de l’urbanisme.

Reste que l’administration est quelque peu responsabilisée puisqu’elle devra – indépendamment du bien-fondé de la majoration – établir la preuve qu’elle a procédé à la consultation ou à la procédure pour laquelle la majoration avait été décidée.

Ainsi, en étendant sa jurisprudence Commune de Saint-Herblain à la problématique de la majoration illégale des délais d’instruction, le Conseil d’Etat a pu abandonner sans trop de risques pour les pétitionnaires, sa jurisprudence Sobeprim selon laquelle la lettre informant le pétitionnaire de la prolongation du délai d’instruction de droit commun de sa demande d’autorisation d’urbanisme, pour l’un des motifs prévus par le code de l’urbanisme, constituait une décision faisant grief (Conseil d’Etat, 22 octobre 1984, Sobeprim, req. n° 12522) en jugeant que « La décision de refus de permis de construire ne trouve pas sa base légale dans la lettre du 23 janvier 2018 majorant le délai d'instruction de la demande de M. B..., laquelle n'est pas une décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, et n'est pas prise pour son application ».