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PC#54 Petite révolution au cœur de l'été en matière d'action d'un tiers à un contrat
Le Point Cardinal PC#54 Petite révolution au cœur de l'été en matière d'action d'un tiers à un contrat

PC#54 Petite révolution au cœur de l'été en matière d'action d'un tiers à un contrat

\ Septembre 2024


Depuis deux arrêts de l’assemblée plénière de la Cour de cassation de 2006 et 2020, il est bien établi que, malgré la règle de l’effet relatif d’un contrat :  

  • le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage (Ass. plén., 6 octobre 2006, pourvoi n° 05-13.255), et que
  • s'il établit un lien de causalité entre ce manquement contractuel et le dommage qu'il subit, il n'est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement (Ass. plén. 13 janvier 2020, pourvoi n° 17-19.963).

Dit autrement, un tiers C à un contrat entre A et B peut engager la responsabilité délictuelle de A sur le fondement de la violation par A de ses obligations contractuelles envers B si cette violation a causé un préjudice à C, sans avoir à démontrer que l'inexécution du contrat constitue à son égard une faute ou un manquement au devoir général de ne pas nuire à autrui.

La nature délictuelle de l’action du tiers C entrainait notamment jusqu’ici la mise à l’écart envers C des clauses limitatives de responsabilité prévues dans le contrat entre A et B, et également de la règle de limitation de la réparation au seul préjudice prévisible lors de la formation du contrat.

Le risque de réclamations sans plafond envers A de la part de C, souvent en liaison avec B avec lequel C était lié par un autre contrat, amenait souvent A à transiger avec C (et parfois B).

Revirement de la chambre commerciale en 2024

La chambre commerciale de la Cour de cassation vient de rendre un arrêt contraire à cette solution, selon lequel l’auteur du manquement contractuel A peut opposer au tiers C « les conditions et limites de responsabilité » qu’il peut opposer à son cocontractant B sur le fondement du contrat A-B (Com. 3 juillet 2024, pourvoi n° 21-14.947).

Ce revirement est motivé par le souci de « ne pas déjouer les prévisions du débiteur, qui s'est engagé en considération de l'économie générale du contrat, et ne pas conférer au tiers qui invoque le contrat une position plus avantageuse que celle dont peut se prévaloir le créancier lui-même ».

Implications de ce revirement : 

  • pour les débiteurs contractuels (A) : cette nouvelle jurisprudence permet à A de se prémunir contre des réclamations illimitées de la part des tiers C, en leur opposant les conditions et limites de responsabilité convenues avec B.
  • pour les tiers (C) : ceux-ci verront leurs demandes d’indemnisation envers A limitées par les clauses contractuelles opposables.

Perspectives

Cette évolution soulève plusieurs questions pour l'avenir :

  • unification de la jurisprudence : reste à voir si les autres chambres de la Cour de cassation adopteront cette position, ou si une intervention de l'assemblée plénière sera nécessaire pour unifier la jurisprudence.
  • extension à d’autres clauses : reste également à voir si cette solution sera étendue à d'autres dispositions contractuelles du contrat A-B, telles que les clauses réduisant la durée de prescription.